Mémoires du Muséum d’Histoire Naturelle, Paris
T.II pp 232-238 (1824)
NOTICE
Sur le Cocotier et sur ses produits, principalement
sur ce qui est relatif à l'extraction de l'huile.
PAR M. LESCHENAULT DE LA TOUR,
Naturaliste du Roi.
Le Cocotier, (Cocos nucifera) est un des arbres les plus utiles des pays chauds; il croit dans presque toutes les régions équatoriales des deux Mondes.
Il appartient à la division des plantes monocotylédones; à la classe de la monoécie hexandrie de Linné à la famille des Palmiers de Jussieu.
Il aime le voisinage de la mer. Un terrein mélangé, dans une juste proportion, de sable et de terre végétale, lui convient le mieux; il s'élève à 60 ou 70 pieds; son tronc, d'une grosseur à peu près égale dans toute son étendue, porte à son sommet douze à quinze feuilles longues de plus de 10 pieds, composées chacune de deux rangs de folioles étroites et pointues; les feuilles inférieures sont inclinées, les intermédiaires sont plus ou moins horizontales; les jeunes feuilles sont droites; par cette disposition elles forment un beau panache, qui donne au port de cet arbre la plus grande élégance, et le rend l'ornement des massifs de verdure qu'il domine.
Les nouvelles feuilles, lorsqu'elles ne sont pas encore développées, forment un gros bourgeon allonge et fort tendre, que l'on nomme Chou; il est très-bon à manger, mais en le coupant on feroit périr l'arbre.
Toutes les parties du Cocotier sont utiles à l'homme. Son tronc se fend en soliveaux, que l'on emploie le plus ordinairement dans les constructions; mais il à l'inconvénient d'être souvent attaque par les fourmis blanches; elles détruisent la partie médullaire qui, comme dans tous les autres palmiers, est interposée entre les fibres ligneuses.
Les feuilles de Cocotier servent à former les clôtures et à couvrir les maisons; on ne coupe pour cet effet que les vieilles feuilles: le cent se vend quatre fanores (1 fr. 20 c.).
Mais c'est du fruit que l'on retire les plus grands avantages ce fruit est un drupe de la grosseur d'un melon moyen compose de fibres fortes, flexibles et élastiques qui recouvrent un noyau monosperme à coque dure, d'une seule pièce, marquée de trois sutures saillantes, et creusée à sa base de trois trous inégaux.
Le Cocotier commence à porter des fruits à cinq ans, il est en plein rapport à dix; on assure qu'il produit pendant plus d'un siècle. à l'aisselle de ses feuilles il sort, deux fois par an, cinq à six panicules, nommées régimes, qui, d'abord, sont enfermées dans de grandes spathes; en se développant, elles se chargent de petites fleurs jaunâtres, les unes mâles, les autres femelles, auxquelles succèdent, pour chaque régime, une dizaine de fruits qui mûrissent successivement. La coque de ces fruits, lorsqu'ils sont jeunes, est tapissée intérieurement d'une chair tendre, blanche, peu épaisse, et ayant le goût d'amande; le reste de l'intérieur contient un grand verre, environ, d'une liqueur légèrement laiteuse, d'un goût très-agréable, et rafraîchissante; en mûrissant, la chair qui tapisse le noyau devient plus ferme, et acquiert l'épaisseur d'un demi pouce; le liquide qui remplissoit l'intérieur diminue et disparaît presque entièrement. Si l'on veut retirer du Cocotier le tari ou vin de palmier, nomme, sur la cote de Coromandel, kalou il faut sacrifier les fruits: lorsque la panicule est encore enfermée dans sa spathe, on la coupe à deux pouces de son extrémité, et on fait dans cet endroit une ligature; pendant plusieurs jours on frappe légèrement le long du régime, pour exciter l'écoulement du tari; lorsque l'on voit qu'il s'échappe quelques gouttes, on enlève la ligature, et on attache un vase en terre pour recevoir la liqueur. Chaque Cocotier en fournit environ une pinte par jour, moitie le matin et moitie le soir; on à le soin de rafraîchir à chaque fois la plaie par une nouvelle taille. Lorsque les Cocotiers sont dans un bon sol, qu'on les arrose et que l'on essore la terre autour d'eux, ils peuvent donner jusqu'à deux pintes de liqueur.
L'extraction du tari les épuise; c'est pour cette raison qu'ordinairement sur la cote de Coromandel, on fait alternativement une récolte de tari et une récolte de cocos. Le produit d'un Cocotier peut se calculer à environ une roupie et demie ou deux roupies par an (3 fr. 60 c. à 4 fr. 80 c.).
Le tari, lorsqu'il est frais, est une liqueur agréable, mais enivrante; il fermente et s'aigrit promptement: en le distillant, on obtient environ un cinquième de son volume en arack à 20 degrés; on en fait du vinaigre: il sert de levain pour la boulangerie, et de ferment pour diverses boissons que l'on prépare dans l'Inde.
Avec l'écorce fibreuse, ou brou, qui recouvre la coque, on prépare une filasse dont on fabrique des cordages. Avec la coque mure on fait divers ustensiles, et de petits vases susceptibles d'un beau poli, et pouvant être élégamment sculptes.
Lorsque l'amande est mure on s'en sert, fraîche et rapée, pour assaisonnement dans plusieurs préparations alimentaires. à Java, et dans les autres îles de la Sonde et des Moluques que j'ai visitées, l'huile retirée à chaud de l'amande fraîche sert exclusivement à la cuisine des indigènes; ils n'emploient ni la mantaigne ni le saindoux.
Sur toute la cote de Coromandel il se fait une consommation considérable d'huile de cocos, pour la lampe, pour les cérémonies religieuses, et pour diverses préparations dans les arts et dans la médecine; on l'obtient par expression de la manière suivante.
Lorsqu'on à dépouillé le fruit de son écorce, on casse la coque, et on l'expose à l'air et au soleil pendant deux jours; l'amande se sépare alors facilement de son enveloppe; on la coupe ordinairement en deux parties: elle prend alors le nom de cappera; on l'expose pendant environ huit jours au soleil, pour faciliter le développement des parties huileuses, et enlever toute l'humidité des amandes; le cappera, bien prépare, doit être sec et cassant, et n'avoir pas une odeur forte ou désagréable; il doit être dans sa cassure d'un blanc grisâtre.
La cote de Coromandel ne fournit pas la quantité nécessaire à sa consommation; on en retire beaucoup de la cote de Malabar, des îles de Ceylan, des Séchelles, de Saint-Diégo-Garcia: celui des Séchelles est le meilleur. On m'a assure que six cocos au choix pouvoient donner une pinte d'huile; mais ordinairement d'un candy de cappera qui pèse quatre cent quatre-vingts livres marc et qui contient douze cents cocos, on ne retire que trois cent soixante serres: la serre pèse huit onces marc, et la pinte vingt-deux onces. Le prix du candy de cappera à varie, depuis que je suis dans l'Inde de cinq à sept pagodes à l'étoile. (42 fr. à 56 fr. 80 c.)
Le moulin à huile de la cote de Coromandel est forme d'une espèce de mortier creuse dans un tronc de tamarinier, profondément enfonce dans le terrain, et élevé au dehors d'environ trois pieds, on le choisit du plus grand diamètre possible; pour n'en rien diminuer on laisse subsister ses irrégularités.
Le réservoir à un pied de diamètre à son orifice, et vingt pouces de profondeur; il à une forme conique, à partir de l'ouverture jusqu'à la profondeur d'un pied, ou le diamètre n'est que de huit pouces; il s'élargit ensuite, et forme à sa base une cavité sphérique, dont la grande largeur est de dix pouces.
Le pilon est une solive ronde de cinq pieds de long, dont la partie inférieure est arrondie et la partie supérieure terminée en pointe; cette pointe est repue dans un trou pratique dans une pièce de bois qui est accolée à une autre au moyen d'un lien de corde: celle-ci tient par une mortaise et une cheville à l'arbre qui sert à la fois de bascule et de moteur à l'appareil (La figure ci-jointe, Pl. XVI, fig. 2, donnera une idée exacte de cette machine fort simple.) L'arbre, qui à 18 pieds de longueur, tourne à la base du mortier dans une gorge qui y est entaillée; à l'autre extrémité sont-attaches deux boeufs, qui donnent le mouvement circulaire ; on charge cette partie de plusieurs grosses pierres, pour augmenter l'effet: quelquefois c'est le conducteur des boeufs qui sert de poids. Les deux morceaux de bois qui, en fixant le pilon, dirigent son action, tires en bas par la force de la bascule, font incliner le pilon de façon que sa partie inférieure presse contre les parois de la cavité sphérique, et que sa face latérale presse également contre les parois de la cavité conique; il écrase par ce moyen, dans son mouvement circulaire, le cappera qu'il rencontre, et le réduit en pâte: on ajoute au fur et à mesure de nouveau cappera; la pâte s'épaissit, l'huile se sépare du marc et s'échappe par en haut, ou elle est retenue sur la table qui entoure l'ouverture du mortier par un rebord d'un pouce; on la recueille avec des cuillers.
Lorsque le marc ne forme plus qu'une masse sèche, on le brise à coups de pince et on l'enlève: il reste au fond de la cavité une portion de l'huile, que l'on retire en y trempant des chiffons qui s'en imbibent. Pour exprimer l'huile d'un candy de cappera, il faut pendant quatre jours le travail du moulin durant dix heures; chaque journée on y emploie deux hommes et deux boeufs; un des hommes conduit les animaux, l'autre soigne le moulin et recueille l'huile. On paie par candy treize roupies (7 fr. 20 c.), et le marc reste à l'ouvrier, ou il sert à nourrir les boeufs; les pauvres gens le mangent lorsque le grain est cher.
Le pilon doit être fait d'un bois lourd et dur; on emploie ordinairement celui de l'Acacia Arabica (acacia d'Arabie), du Mimosa Lebbeck (bois noir), du Nerium anti-dyssentericum (velle morun). J'ai encore vu des pilons faits avec la Swietenia chloroxylon (bois satin), de Ceylan.
Le moulin à huile, de la cote de Coromandel, appartient à l'enfance des arts mécaniques; on voit aisément qu'il à pour origine le mortier ordinaire, auquel il à fallu donner, pour en tirer les substances huileuses, de plus grandes dimensions, et une action plus forte; et alors, faute d'un levier suffisant on à été oblige de substituer à la percussion verticale la pression latérale et circulaire, dont l'action est bien moins considérable que celle de nos moulins d'Europe. Un autre vice essentiel de cette machine, est la multiplicité des frottemens, celui dans une double direction du pilon, et celui de l'arbre- contre la gorge de la base du mortier; ils énervent inutilement, si j'ose m'exprimer ainsi, la force motrice, de sorte que, comme on l'a vu précédemment, les résultats de ce moulin no sont point en proportion avec la force et le temps employés.
Le Cocotier à plusieurs ennemis qui lui portent de grands préjudices; le plus dangereux est un scarabée noir (Oryctes Rhinoceros), qui dévore les jeunes feuilles non encore développées: si on ne prenoit pas les précautions nécessairement cet insecte feroit périr un grand nombre d'arbres. Le gouvernement paie, à Pondichéry, deux hommes qui n'ont d'autre occupation que d'aller à la chasse de ce scarabée.
La marte des palmiers (en tamoul mora-royé: Paradoxurus typus Fréd. Cuvier Mém. du Mus. tom. 9), dont j'ai envoyé un individu vivant à la ménagerie du Roi, grimpe sur les arbres, et ouvre les jeunes cocos pour boire l'eau qu'ils renferment. Enfin l'écureuil palmiste, qui profite des trous faits par la marte pour manger l'amande des cocos.
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